Lorsqu’on lit ou écoute des commentaires sur des œuvres d’art dans divers domaines, musical, théâtral, pictural etc…, on observe l’emploi de certaines expressions, dont on connaît peu ou prou le sens, et que parfois on utilise courageusement, mais il peut être bon d’en connaître le sens précisément et voir où et comment les utiliser.
Commençons par «apollinien » et «dionysiaque ». Ces adjectifs, issus de noms de dieux grec, Apollon et Dyonisius, proviennent de « La Naissance de la tragédie » de Nietzsche. Le philosophe oppose la beauté idéale, qu’inspire Apollon, à quelque chose de difforme qui serait dionysiaque. Comme cela vient de Nietzsche, c’est à consommer sans modération, mais hélas vous ne produirez pas l’effet escompté.
Apollinien : qui relève de l’éclat du soleil et de la lumière, la beauté idéale est son élément ; participe de l’équilibre
Dionysiaque : qui relève de l’ivresse jusqu’à l’extase, l’oubli de soi ; qui présente un caractère difforme ; relève de la démesure
La tragédie naît de la confrontation entre les deux styles. On parle de dialogue de la beauté apollinienne avec la démesure dionysiaque.

Le jaune éclatant et les lignes géométriques donnent un caractère apollinien à l’œuvre, à laquelle le corps torturé, grotesque confère une vision dionysiaque. De la confrontation de ces deux styles surgit le tragique (voir Elie Faure, histoire de l’art, 1909) .
On peut le dire plus simplement. Le jaune claironnant du fond permet de mettre en valeur la figure représentée, provoquer des sentiments émotionnels plus purs, au moyen de couleurs plus froides, alors même qu’on n’y est guère enclin par le caractère grotesque du personnage.
On peut aussi opposer le jaune fluorescent et les lignes géométriques, d’une vision platonicienne, aux contorsions et au corps torturé, de l’univers plus cruel d’Eschyle, auteur qui influença Bacon.

Il en va de même avec ce tableau. Le rose étincelant et les lignes géométriques apportent un caractère idéal, lumineux (Il s’agit d’un très grand tableau et la surface rose est donc importante) qui contraste avec le côté dionysiaque apporté par l’aspect monstrueux, animal de l’athlète, renforcé par la présence d’un insecte dans l’espace suggéré.
Vital dans « énergie vitale » ou « puissance vitale », « principe vital » ou mieux « élan vital », cette dernière expression renvoyant à « l’évolution créatrice » d’Henri Bergson, et ce philosophe plaît davantage aux artistes qu’aux scientifiques. Donc on peut y aller, mais cela donne toujours un peu l’impression d’être à court d’idées. (Paul Valery, dans son Narcisse appelait chacun à « se perdre en soi-même)

La vitalité c’est d’abord la présence d’un être humain, représenté avec un écart considérable avec le modèle réel. Ce corps est représenté dans le présent et sans effet narratif. Selon Michel Leiris, « la réalité d’un corps est plus intensément ressentie si on a l’impression que ce corps se trouve dans un équilibre douteux (posture qui est l’inverse d’un repos) ou dans un état d’effort. »
On peut d’ailleurs simplement y voir la représentation d’un corps bouleversé témoignant de la force intérieure d’un être humain.
Tragique
La « vision tragique » apparaît dans ce que cela signifie certes une issue funeste mais davantage dans ce qu’il y a d’inéluctable, d’irrémédiable – It’s bound to happen-. On voit les choses venir mais on ne peut rien y faire. Ce qui est tragique ce n’est pas l’issue fatale, c’est bien davantage qu’on ne peut s’y opposer en rien. La vie même de Francis Bacon.

La mort est inscrite dans les formes heurtées, confuses. Les couleurs froides l’emportent sur les tons chauds, souffle de vie encore présent. Mais le destin des protagonistes est scellé.

Le tryptique permet de traduire ce sentiment de tragique. Le destin du personnage dans le panneau central est déjà fixé. Ce sera la mort par suicide. A droite, c’est l’autoportrait de Francis Bacon mais n’est-il pas déjà sur la table dissection ?.
Le caractère figuratif ou narratif pour le panneau central n’a que peu d’importance. Les formes géométriques rompues, les couleurs flamboyantes de l’escalier et de l’espace suggéré tout au fond attirent et effrayent dans un univers déjà refroidi.
Au final, ce sera l’émotion du spectateur avec ses mots le dire.
