Greuze une palette d’émotions au musée de Tournus

20 July 2025

Greuze une palette d’émotions au musée de Tournus

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Sous le beau titre « Greuze, une palette d’émotions », le Musée de Tournus organise du 24 mai au 21 septembre 2025, tout l’été donc, une exposition consacrée principalement aux dessins de Greuze, des sanguines principalement.

Celle-ci est présentée à l’Hôtel-Dieu, plus précisément aux hospices  de Tournus.

Il est malaisé de distinguer les « hôtel-Dieu » des hospices. Il semble cependant qu’on ait voulu désigner par hôtel-Dieu les établissements charitables fondés et contrôlés par les évêques,  de ceux qui le furent par les couvents ou les laïcs. L’hôtel-Dieu est alors placé près de la cathédrale et administré par le chapître.

Or, Tournus n’abrite pas un évêché, point de cathédrale ici, mais une abbaye Saint Philibert, c’est-à-dire un monastère, un couvent.

La plupart des bâtiments conventuels datent des XIème-XIIème siècle.

L’hospice de Tournus  accueillait toutes les infortunes : pèlerins, pauvres, vieillards impotents, malades.

Cependant, les soins s’adressaient davantage à l’âme qu’au corps, d’où l’importance donnée à la confession, à la communion des malades et à leur présence aux offices : la grande salle comportait une véritable chapelle. Sans doute les cloches avaient elles ici un son grêle pour ne pas affoler les malheureux qui y vivaient.

La technique médicale est reléguée au second plan : sirops, saignées ou bains. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle et dans les grands hôpitaux qu’apparaissent des médecins et des barbiers (alors chirurgiens).

Dans la grande salle les lits sont alignés, séparés par une simple cloison. Et à son extrémité a été érigée une grande chapelle.

Le matin au fur et à mesure que l’obscurité devient moins dense, on devait entendre les premiers bruits dans la grande salle ; Des bruits incertains, confus. L’intérieur des corps se faisait entendre.

Les  gens bougeaient, se retournaient dans leur lit. Des borborygmes, des silhouettes se redressaient puis se mouvaient avec lenteur. Les premiers conciliabules. Comme s’il était convenu qu’à un moment précis commençait l’interminable journée.

Plus tard ,on verra des hommes assis sur des tabourets qui gardent une immobilité presque effrayante. . Certains mâchonnent sans rien dire et se contentent de regarder devant eux, parfois. Passent des religieuses dont les mouvements rapides font contraste avec l’attitude résignée qui règne souvent.

C’est dans une aile de cet hôtel Dieu que se trouve l’exposition consacrée à Greuze

Un joli parti pris: le lien qui unissait Diderot, l’encyclopédie et l’œuvre de Greuze.

D’entrée, l’exposition nous met au cœur du siècle des Lumières, qui est bien le siècle de Greuze. Plus précisément c’est le rôle qu’y a joué Diderot et son encyclopédie composée de 28 volumes (dont 11 de planches illustrées), parus sur 20 ans de 1751 à 1771.

Ce devait être la somme de toutes les connaissances du moment, en attribuant la base de ces connaissances à l’expérience fournie par les sens.  

L’intention de Diderot était « de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres », et donc aussi celui de la peinture. L’œuvre prétendait aussi diffuser l’idéal de progrès des Lumières, fondé sur le développement historique de la science et de la technologie. Ces savoirs permettaient à la fois l’amélioration des conditions matérielles de la vie et la moralisation des mœurs, sur un chemin de perfectibilité continue.

Il n’est pas sûr que l’œuvre de Greuze recouvre toute l’étendue de ce programme encyclopédique. Chez Greuze c’est la foi du charbonnier, et la place qu’il accorde à la sociète traditionnelle l’éloigne clairement de toute volonté émancipatrice.

Diderot apprécie que les peintures de Greuze traitent des « mœurs », c’est-à-dire de la vie quotidienne. Grâce à cela, le spectateur peut s’identifier avec les scènes représentées et en retire des règles, voire des leçons,  de bonne conduite. Cet aspect a une importance majeure pour Diderot, car, selon sa théorie esthétique, la beauté ne peut être séparée ni de la vérité ni de la vertu.

Pour lui, les œuvres de Greuze représentent des tableaux vivants, des scènes qui semblent jaillir de leur support, au lieu d’être figées par une pose académique froide et inexpressive.

Par exemple, le tableau « La piété filiale » (1763), sur lequel Diderot ne tarisait pas d’éloges pour son réalisme et sa piété filiale.

Un vieillard affaibli par la paralysie est étendu sur un fauteuil de fortune, entouré de ses enfants et petits-enfants. La scène met en avant la piété filiale à travers les gestes de compassion et de service des membres de la famille : une fille relève la tête du vieillard, un gendre lui présente de la nourriture, un garçon lui apporte à boire, et un autre lui tend un oiseau, symbole de patience et de douceur. La composition insiste sur l’émotion, la tendresse et la moralité, illustrant la vertu de l’amour filial et le respect envers les aînés. La scène se déroule dans un intérieur modeste, renforçant l’aspect familial et intime, avec une attention particulière portée aux détails comme les vêtements, les expressions et les gestes.

En art, Diderot a une prédilection pour les tableaux ; c’est-à-dire les moments où l’unisson des sentiments s’exprime par les seules attitudes plastiques des acteurs, les uns à l’égard des autres et la figuration que leur posture dessine. L’émoi ou l’émotion.

L’influence de la peinture italienne.

Greuze a séjourné  en Italie de 1755 à 1757. En 1755, il est âgé de trente ans et il s’y rend avec l’abbé Gougenot.

Il y fit d’abord la connaissance, villa Médicis,  de nombreux peintres français, dont certains, comme Fragonard, deviendront fameux. Il eut aussi des aventures amoureuses à la Roméo et Juliette. Il avait belle figure et prestance, ainsi qu’un cœur d’artichaut. Mais il  découvrit aussi les grands maitres de la peinture italienne, dont le Titien.

Il est difficile de discerner l’influence de la peinture italienne chez ce maître de la peinture de genre, dont on perçoit bien l’influence des flamands et bien sûr de Rubens.

Mais l’exposition nous démontre que la peinture italienne a bel et bien eu une influence décisive sur Greuze. Voilà comment.

Dans ce tableau, présenté en 1769, l’empereur Septime Sévère reproche à son fils Caracalla, d’avoir cherché à l’assassiner dans les défilés d’Ecosse et lui dit : « Si tu désires ma mort, ordonne au centurion Papinien de me la donner avec cette épée ». Ce tableau a été présenté par Greuze pour son entrée à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture.

Mais Diderot s’était désolé quand il avait découvert l’œuvre finale tant il en avait admiré l’esquisse.

Cette esquisse est bien exposée au musée Greuze à Tournus .

Elle montre une scène plus resserrée que dans le tableau présenté à l’Académie royale aujourd’hui au musée du Louvre. Elle part du même principe que la scène de genre. Les personnages ne sont pas au-dessus de leur condition triviale. Caracalla est un adolescent sournois, renfrogné, le nez retroussé, les yeux enfoncés et  les narines crispées.  C’est un petit monstre que ce scélérat promis à l’imperium. Septime Sévère est découragé, abattu et outragé par son fils plutôt qu’accablé ou furieux. Peu de Césarisme dans cette scène.

Le sénateur captieux Castor et le fidèle centurion Papinien, le crâne dégarni,  accablé par le poids de la tâche qu’on est prêt à lui confier, se montrent préoccupés.

Les visages sont communs, les gestes banals. L’épée est à portée de main, posée sur le guéridon massif aux pieds de bouc.  Le glaive et le lourd casque sont mis en évidence pour donner un sens à la réalité du crime prémédité.

C’est une scène de genre transposée dans une peinture héroïque. Le parti pris pouvait être critiqué mais il avait le mérite de tenter de donner un souffle nouveau, différent puissant à la peinture d’histoire. On aurait adhéré ou rejeté cette approche, mais Greuze aurait imprimé sa marque, peut-être changé le cours de la peinture d’histoire.

Greuze avait une proximité avec les idées nouvelles et aurait pu assez aisément passer de la scène de genre à la peinture historique révolutionnaire où le petit peuple devient un acteur de l’histoire, dont les postures et comportements sont plus proches de ceux qu’on trouve dans les scènes de genre que  dans les grands tableaux de scènes antiques. Rendez-vous manqué avec l’histoire.

Ici exposée à Tournus.

    Alors venons- en à l’influence de la peinture italienne sur Greuze.

L’exposition met en évidence celle du Dominiquin et notamment de ce tableau.

Domenico Zampieri, dit le Dominiquin ( 1541-1641) – époque baroque – et on ne le cite pas assez souvent quand on parle des peintres baroques, peut-être à cause d’une élégance stylistique classique. « Sainte Cécile devant le juge Almachius (préfet de Rome, en fait)», fresque de la chapelle Polet, Saint Louis des Français, à Rome.

On nous indique, à  l’exposition,  que Greuze a bien réalisé une sanguine, précisément pendant son voyage en Italie .

Le lien entre la fresque du Dominiquin et le tableau de Greuze est éclatant.

Et cette  démonstration est des mérites et non pas le moindre de cette expositions, qui présente nombre de dessins préparatoires aux grands tableaux de Greuze, de belles sanguines.



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