L’exposition présente, à côté des sanguines et des encres noires ou brunes du Louvre, une belle reproduction du tableau emblématique de la sensibilité érotique de Greuze « La jeune fille à la cruche ».
A l’époque, une jeune fille à peine nubile se voyait séduite et son hymen s’envolait.

Greuze, La cruche cassée, 1771, huile sur toile 109 × 87 cm Musée du Louvre, Paris
C’était une chose commune et plaisamment commentée.
Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau rapporte qu’avec un ami ils avaient décidé d’entretenir une fille… « Il s’agissait de la trouver sûre. Il chercha tant qu’il déterra une petite fille d’onze à douze ans, que son indigne mère cherchait à vendre. Nous fûmes la voir ensemble…Il fallait attendre qu’elle fût mûre (Les Confessions Livre 7ème -1741-1747).
Anatole France, en bon latiniste et grand humaniste, ne voyait dans tout cela que sensualité. « Le bonhomme Greuze, qui, venu de bonne heure de Tournus à Paris, y resta toujours d’humeur paysanne, devait, en esquissant La Cruche cassée, fredonner quelque chanson du pays, quelque couplet revenant à celui-ci :
Ne pleurez pas ma belle ;
Ah : je vous le rendrai.
Ce n’est pas chos’ qui se rende
Comm’ cent écus prêtés. »
(La Vie littéraire, Troisième Série)

Pour un artiste contemporain, elle semble avoir retrouvée une certaine virginité, sorte d’immaculée conception et, de la cruche cassée, semble s’échapper des fleurs de papier.
Mais avançons…à l’étage entre deux tableaux s’ouvre une fenêtre qui donne sur la grande salle de l’hospice.

L’espace d’un instant on est à nouveau dans le monde des infortunés des siècles anciens, où la déchéance trouvait son issue dans la mort qu’ils attendaient dans la terreur, comme des damnés ou des réprouvés. Et le crucifix, au fond dans la chapelle, qui ramenait tout ce monde de l’indigence dans la crainte de Dieu.

Mais au XVIIIème siècle, Greuze, sur le principe de la thèse et de l’antithèse, oppose la vertu récompensée au vice puni, autrement dit le bien au mal. Cela ne fonctionne guère mais puisque Diderot approuve.
C’est sur ce dessin qu’immédiatement on s’arrête.

Elle nous est familière. Greuze …c’est cette pitoyable vieille femme meurtrie, desséchée par toute une vie de vertu dessiccante.
Et passons du dessin au tableau

Jean-Baptiste Greuze, La piété familiale,1763,115 x 146 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Elle est vêtue d’une robe sobre de bonne coupe. Ceinte et coiffée de blanc, symbole de moralité et de soumission à l’ordre social, moral, religieux, patriarcal. Sa poitrine ne se soulève plus, elle est là, implorante.
« La circulation des larmes contribue à la régénération des mœurs » selon Rousseau. Ici, on y est; mais la régénération des mœurs de type calviniste ne fait guère rêver. Elle est pesante. Tableau lacrymatoire qui ne tire aucune larme. Tableau larmoyant à l’émotion forcée. Mais quelle maestria!
On va la retrouver dans la mère bien aimée.

Greuze, La mère bien aimée, 1775…On dirait un pastiche de Greuze.
Ici, c’est la grand-mère, mais elle occupe le centre du tableau dans un intérieur riche, bariolé et cossu. Il y a moins de bimbeloterie, de quincaillerie que d’habitude. Elle garde son expression contrite et n’a pas eu le temps de changer de vêtements. Elle est dessinée avec gourmandise par Greuze, qui aime croquer ces visages, pure allégorie de la vertu dans la vieillerie d’un visage.
Et si celle-ci ne va pas , celle là le fera. Greuze se veut dramatique, pathétique, c’est lui-même qui est pathétique . Mais quel coup de crayon, quelle facilité dans l’excès, dans l’outrance, dans une méchante théâtralité, on reste bluffé par ce portrait figé comme dans le marbre, implorant à jamais dans le vide. C’est du Greuze et lui seul a cette audace.

Ce visage creusé, greuzien, nous devient familier. Les dessins de l’exposition contribuent à nous rendre encore plus familiers ses personnages, qui portent toujours sa marque, et c’est Greuze qui nous devient familier. On sent sa présence dans l’exposition, dans l’atmosphère feutrée du musée Greuze à Tournus.
La même, plus jeune, mais tout aussi éplorée

Jean-Baptiste Greuze, Etude d’expression d’une jeune femme éplorée, vers 1777-1780, Sanguine sur papier crème ,36,4 x30,1 cm, Fonds ancien du Cabinet des dessins du musée du Louvre.
La paupière est gonflée, le menton est lourd, les hachures du dessin sont serrées…si jeune et déjà si triste, si chagrin…allons point tant d’affliction, de la gaité…du plaisir plutôt.
Enfin…la même entre deux âges,tout autant éplorée.

Mais Greuze sait ausi nous proposer de tendres portraits, témoins d’une douceur mièvre qui lui vient du coeur.



Alors Greuze a bien mérité sa statue érigée sur la place de ville et ravalée pour le le tricentenaire de sa naissance.
