Alfred Sisley (1839—1899), revisited. Introduction

25 September 2024

Alfred Sisley (1839—1899), revisited. Introduction

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Une écriture picturale du sensible

A Moret -sur- Loing, avant de franchir le pont,  vous avez cette vue.

En approchant un peu et en vous projetant 125 ans plus tôt vous voyez ceci…avec le regard d’Alfred Sisley :

Alfred Sisley , Moret-sur-Loing , pluie, 1888

Cette vue est reproduite pour les visiteurs sur les lieux mêmes sur un support de mosaïque qui rend une belle impression de pluie.

Il ne s’agit pas d’un instantané du pont, de l’église et du portique de la ville. Aucun but pratique, comme s’il s’agissait de reproduire ce qu’il voit,  mais une production contrôlée dans un but esthétique, propre à donner une sensation, un plaisir, une expérience immédiate de perception. Sisley éprouve l’effet de chaque coup de pinceau pour prendre conscience de ce qu’il fait et du sens dans lequel s’oriente son œuvre.

La vision du spectateur 

Dans son roman « Du côté de Guermantes », Marcel Proust, parlant du tableau la Vue de Delft de Vermeer, rapporte d’abord les propos  de la duchesse de Guermantes : « Je dirais volontiers que quelqu’un qui ne pourrait le voir que du haut d’une impériale de tramway sans s’arrêter, s’il était exposé dehors, devrait ouvrir les yeux tout grands »

Johannes Vermeer, Vue de Delft , 1659-1660, huile sur toile, 96,5 x 115,7 cm, La Haye.

Mais cette parole le choqua « comme méconnaissant la façon dont se forme en nous les impressions artistiques, et parce qu’elle semblait impliquer que notre œil à nous spectateurs est dans ce cas un simple appareil enregistreur qui prend des instantanés. »

En effet, nous faisons face d’abord à une réaction émotionnelle, c’est-à-dire un ressenti devant l’œuvre, puis  intellectuelle, c’est-à-dire une analyse de l’œuvre.  Dans  «  Vue de Delft », alors  même qu’il s’agit d’une peinture réalisée avec l’aide d’une boîte noire,  il s’agit d’ « une impression de lumière » et non pas d’une vue de ville exacte et fidèle. En observant le tableau de près, on peut constater l’utilisation du traitement de la lumière par une technique proche du pointillisme, avec la juxtaposition de petites touches de différentes nuances.

Chez Sisley, bien entendu, il s’agira de la compréhension de l’approche impressionniste du paysage par un peintre singulier.

Il y a aussi, et on est là bien loin de la représentation photographique,  que le matériau des beaux-arts est une somme de qualités concrètes, une peinture à l’huile sur toile par exemple. Sur un tableau on perçoit la substance, la densité et la touche picturales, la trace du geste et du pinceau de l’artiste, qui font œuvre.

Alfred Sisley, Moret-sur-Loing, Vue du pont

Pour le spectateur il s’agira donc d’une expérience, c’est-à-dire au sens de  John Dewey, quelque chose d’abouti  (John Dewey, L’art comme expérience, folio essai):

 « Pour percevoir, un spectateur doit créer  sa propre expérience qui, une fois créée, doit inclure des relations comparables à celles qui ont été éprouvées par l’auteur de l’œuvre. Celles-ci ne sont pas littéralement semblables. Mais avec la personne qui perçoit, comme avec l’artiste, il doit y avoir un agencement des éléments de l’ensemble qui est, dans sa forme générale mais pas dans le détail, identique au processus d’organisation expérimenté de manière consciente par le créateur de l’œuvre. L’artiste a sélectionné, simplifié, clarifié, abrégé et condensé en fonction de son intérêt. Le spectateur doit passer par toutes ces étapes en fonction de son point de vue et de son intérêt. Chez l’un et chez l’autre, il se produit un acte d’abstraction, c’est-à-dire d’extraction et de signification. Chez l’un et chez l’autre, il y a compréhension au sens littéral, c’est-à-dire regroupement de détails éparpillés physiquement visant à former un tout qui est vécu comme une expérience. La personne qui perçoit accomplit un certain travail tout comme l’artiste. Si elle est trop fainéante, indolente ou engluée dans les conventions pour faire ce travail, elle ne verra pas et n’entendra pas. Son « appréciation » de l’œuvre sera un mélange de bribes de savoir et de réactions conformes à des normes d’admiration conventionnelle confuse même si elle est authentique. »

La création artistique est un processus qui interagit avec le spectateur à qui l’œuvre sera donnée à voir.

 Dans l’exemple des cathédrales, Dewey  soutient que « leur qualité esthétique est probablement due, dans une certaine mesure, au fait que la construction de ces bâtiments n’était pas, autant que maintenant, régie par des plans et des clauses établis à l’avance. Les plans évoluaient au fur et à me mesure de la construction du bâtiment sous le regard d’artiste de l’architecte. Et  du côté du spectateur  Marcel Proust écrit « Les formes architecturales (d’une cathédrale) peuvent nous ravir, si nous  sommes  en sympathie avec la conception spirituelle d’où  elles sont sorties, mais elles deviennent des œuvres d’art quand on ne voit plus en elles  l’instrument qu’elles ont ou avaient  vocation à être (ici la maison du Christ), mais le centre d’une vie sociale et culturelle».

Il est certain que,  depuis  les paysages de Sisley,  nous avons été saturés de peintures de paysages, comme nous avons été saturés de portraits. Alors comment vivre une expérience esthétique devant l’œuvre de Sisley.

Et aussi comment imaginer  même de tisser des relations sensibles avec le sujet représenté, comparables à celles éprouvées par l’auteur de l’œuvre.

Alfred Sisley, Moret,bords du Loing, 1892, ,huile sur toile H. 60,5 ; L. 73,5 cm. Legs comte Isaac de Camondo, 1911, Grand Palais (Musée d’Orsay) .

C’est ce que nous allons tenter de faire …



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