Comment peut-on voir aujourd’hui le maniérisme .  Deuxième Partie

22 October 2023

Comment peut-on voir aujourd’hui le maniérisme . Deuxième Partie

0 Comments

La primauté de l’invention formelle et le pouvoir expressif de la surenchère

Parmigiano, (Le parmesan), La vierge au long cou, 1534-1540, huile sur toile 216 x132 cm, Gallerie des offices, Florence, Italie.

Les corps démesurément allongés et les couleurs glaçantes, le vert juxtaposant un bleu outremer, accentuent l’extravagance d’une représentation qui se veut seulement artistique.

La surenchère expressive des formes et des couleurs emporte loin de la simple scène de dévotion chrétienne pour donner aux spectateurs des sensations nouvelles, une sorte de vertige sensoriel.

Modigliani qui aimait les peintres de la Renaissance, les grands peintres classiques, devait assurément aimer ce portrait, le long cou, le regard évanescent et la posture délicatement relâchée. Et la grâce fuselée de certains de ses tableaux en est un témoignage.

Amedeo Modigliani (1884-1920). “Femme aux yeux bleus”. Huile sur toile, vers 1918. Paris, musée d’Art moderne.
Lavinia Fontana (1552-1614), Minerve en train de s’habiller, 1613, huile sur toile, Galleria Borghese, Rome.

Et le maniérisme devient parfois clacissisme voire académisme.

De la surenchère à la pure décoration

Lavinia Fontana (1552-1614), Portrait de Bianca degli Utili Maselli, en demi-longueur, dans un intérieur, tenant un chien et entourée de six de ses enfants, huile sur toile, 99 x 133,5 cm.

Il n’y a aucun intérêt à ces visages aussi fades que poupons, mais le glissement des plans, l’entassement des personnages et le formalisme pictural minutieux créent un phénomène de bizarrerie qui exerce sur le spectateur sinon une émotion…une fascination. 

Toutefois, si le maniérisme est le sujet pris pour objet, on s’en éloigne pour ne conserver que la surenchère décorative, sans l’exagération du mouvement ni la tension dramatique qui caractérisent le baroque et le maniérisme des premières manières.

A cette enseigne, on peut imaginer que le rococo s’inscrit dans le sillage du maniérisme sous cet angle purement décoratif…. bien que le rococo ait su retrouver dans la surcharge décorative un renouveau émotionnel incomparable, qui marquera le XVIIIème siècle pictural français.

François Boucher, La toilette de Vénus, 1751, Metropolitan Museum, New-York

L’artiste défie son œuvre en la créant.

Giambologna,« L’Enlèvement des Sabines » (1579-1582). Sculpture, Loggia des Lanzi, Place de la Seigneurie, Florence, Italie

L’œuvre maniériste de Giambologna (Jean de Bologne) est une œuvre expressive par son seul mouvement, sa vivacité  davantage que par son thème dont le mérite est d’être mis en en scène de façon peu réaliste pour favoriser la surenchère expressive.

Cette « manière » se poursuivra bien après la période proprement maniériste. A Bordeaux, place Jean-Moulin, on trouve une sculpture en bronze d’après celle d’Antonin Mercié 1845-1916.

Le sujet, comme pour celui de Sabines revêt un intérêt qui apparaît secondaire. Il s’agit ici d’un héros vaincu, il a perdu la bataille « Gloria victis » « Gloire aux vaincus  » ceux de la défaite de la guerre de 1870. Le thème est pourtant grave et le rameau qui dit la paix et la chouette la sagesse apportent  une réponse universelle.

Le talon est soulevé, seule la pointe du pied effleure le sol, l’envol est proche.

Mais c’est le mouvement étincelant qui représente l’idée même, l’hommage à un Gianbologini par exemple, quel que soit le sujet dramatique, l’enlèvement des Sabines ou la défaite militaire, ce qui compte c’est le mouvement en spirale, l’épée apparaît encombrante et peu signifiante pour la guerre de 1870 où les armes à feu ont davantage parlé.

Et aujourd’hui dans les arts contemporains, on peut retrouver cette même inspiration.

Urs Fisher (1973-) ; Sans-Titre, ire, pigments, mèches, acier, dimensions variables, Installation ; Illuminations, Arsenal, Biennale de Venise.

Composée de sculptures en cire, Untitled, 2011 de Urs Fisher,  est un groupe de bougies monumentales que l’on allume au premier jour de leur exposition : la réplique en plâtre de « L’Enlèvement des Sabines » de Giambologna (Jean de Bologne).

La sculpture de Giambologna est torsadée et donne l’impression d’un mouvement ascensionnel. Les personnages sont enveloppés par la spirale produite par la scène qui les entraîne et par suite le spectateur.

Urs Fisher agit en sens inverse. La cire aura un mouvement descendant avec des volumes créés au hasard de la consumation de la réplique de l’enlèvement des Sabines, produisant des effets inattendus. Le processus spatiotemporel se déroule en temps réel sous les yeux des spectateurs.

***

Le maniérisme ne se confond pas avec le baroque, dont il n’est en aucun cas une manifestation exacerbée.

Il a trouvé une voie artistique originale dont on retrouve bien des traits dans certaines productions ultérieures, jusqu’à notre époque.

Il est sans doute profondément intégré dans notre culture, notre monde intérieur. Comme l’a écrit Jacques Rancière dans « Le spectateur émancipé » le spectateur est quelqu’un d’émancipé qui devant une œuvre d’art contemporaine, par exemple, la regarde en ayant intégré d’autres lieux, d’autres expériences. Il la regarde à sa manière avec sa culture artistique, son expérience, sa sensibilité propres. Et le maniérisme en fait à coup sûr partie dans la contemplation de certaines œuvres contemporaines.



Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *