Geste et matérialité dans les arts plastiques contemporains. Deuxième partie – Derrière le geste, la vision de l’artiste

17 January 2023

Geste et matérialité dans les arts plastiques contemporains. Deuxième partie – Derrière le geste, la vision de l’artiste

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La première partie visait à montrer comment ” Le medium et le geste de l’artiste finissent par l’emporter sur le motif et la figuration “, je verrais, dans cette seconde partie, comment…

II.La vision de l’artiste renouvelle les relations entre  la matière et le geste

II.1. La relation spatiale de l’artiste et du medium dans le processus de création. Les précurseurs à l’art de l’installation ou de la performance.

C’est d’abord l’espace dans lequel l’artiste se meut pour produire son œuvre. Avec la technique du All over (les éléments picturaux sont disposés de manière égale sur toute la surface disponible), Pollock commence par lancer de la peinture ou l’appliquer en grandes lignes ininterrompues sur une toile de grand format posée à même le sol. Il n’a  alors  pas de recul ni de vue d’ensemble.

Luciano Fontana lie matérialité et geste, par un concept spatial et de mouvement, lorsqu’il fend la toile d’un  coup de lame, par exemple, Concept spatial (Attente), 1960,  dans Toile 100,3×80,3cm,Museo del Novecento, Milan Italie.

Lucio Fontana, Concept spatial (Attente), 1960, toile 100,3×80,3 cm, Museo del Novecento, Milan, Italie

Cela paraît être un geste réflexe, spontané, de colère ou de souffrance, alors même que l’artiste a conçu son coup de lame comme un coup de pinceau, précis et déterminé, réalisant un lien entre matérialité, outil et objet de l’œuvre, l’objet de l’œuvre étant la construction d’une entaille pour créer un effet d’attente.

Il créera  en 1947 un Environnement spatial noir, où le spectateur se trouve dans une pièce en noir. Ou, en 1949, une Ambiente spaziale à la Galleria del Naviglio de Milan ; Le spectateur se trouve face à des objets peints de peinture phosphorescente éclairés au néon. La confrontation de la matière et du geste conduira donc à l’art de l’installation, voire à la performance.

Par cette mise à l’épreuve spatiale de matières et du geste, ces artistes sont des précurseurs.

II.2. Spontanéité et autonomie de l’œuvre de l’œuvre d’art

Le peintre gestuel George Mathieu pouvait ainsi déclarer qu’en « réduisant au maximum la part de contrôle au profit de la spontanéité, la possibilité et la notion même d’erreur ou de ratage disparaissent (…). Devant un acte pur et gratuit il n’y a plus de raison de se poser la question de la signification pour autrui et la possibilité de communication disparaît  (Georges Mathieu, De la dissolution des formes, in Au-delà du tachisme, Paris, Julliard,1963, p.260).

Georges Mathieu, Jacques-de-Mailly-au siège-d’Ascalon, 1958, Huile sur toile

L’art de Georges Mathieu est fondé sur la vitesse et l’improvisation, qui ne laissent aucune place au calcul, au doute ou à l’erreur. C’est pourquoi dans cette peinture purement automatique, seule la matière, la couleur et la technique tiennent lieu d’esthétique.

Le plasticien Morris Robert pouvait utiliser des pigments relativement classiques à base d’oxyde de fer qu’’il répandait d’un geste aveugle dans le cadre d’un art minimaliste, une pensée minimaliste. Il s’agit d’associer un geste et une matière.

Certains verront dans cette approche de spontanéité et de hasard, une part d’irresponsabilité artistique dans la mesure où le peintre ne se soucie ni de ce qu’il projette ni de la manière avec laquelle il le projette. 

L’inconscient est aussi un des nouveaux enjeux de l’art moderne, L’artiste se doit d’exprimer un monde intérieur en réaction à un monde extérieur très rapide et changeant. Cette approche donne souvent lieu à des compositions noueuses, frémissantes ou trépidantes.

Dans Enchanted Forest, 1947, Jackson Pollock produit un réseau enchevêtré et empâté de lignes de peinture, en multipliant les couleurs et avec une répétition du geste. Créant ainsi un oeuvre qualifiée d’expressionnisme abstrait.

[autres œuvres de Pollock :

Jakson Pollock, Enchanted Forest,1947

 

II.3 L’autonomie du geste s’oriente suivant différentes directions.

Vers l’art minimal, avec Ci Twombly, qui imprime une dynamique à la toile, par exemple au moyen de traces de craie, qui seront les signes des gestes arbitraires du peintre.

Cy Twombly, rideau de la scène de l’Opéra Bastiile, Paris

Ou vers  le « color field painting », selon l’expression de Greenberg, comme le feront Mark Rothko ou Barnett Newman. Inspirés de l’expressionnisme abstrait, ils vont avoir recours à de larges aplats de couleurs vives où se confrontent des effets de matière et de lumière et laissant à la couleur…une totale autonomie.

Mark Rothko, 1957#20 Huile sur toile 233*193 cm National Gallery of Australia, Canberra, Australie

Chez Marc Rothko, par exemple dans « Sans titre 1949 » le geste de l’’artiste s’organise en utilisant de la matière picturale dans de grands formats; il dispose les couleurs dans un champ vertical ou horizontal qui se condensent vers une zone médiane centrale. Geste et matière se combinent et se confondent alors dans une dynamique d’autonomie de l’art.

Ces artistes réaffirment la planéité du tableau mais remettent en cause les codes existants par l’expansion lumineuse de la peinture, la transparence des couches de peinture et la monumentalité des formats.

 Les relations entre matière et geste sont revisitées. La peinture devient une matière épaisse, colorée et le geste de peindre c’est moins de créer une émotion que le fait de peindre la peinture – autrement dit de mettre le matériau peinture en avant par le geste de l’artiste – ,et d’aligner l’œuvre d’art sur sa propre matérialité. La démarche consiste à montrer, par le geste, la matière et les modes de réalisation de la peinture.

II.3. La vision personnelle de l’artiste

Le message c’est donc bien de montrer la réalité plastique, autrement dit la confrontation du medium et du geste. Mais elle est maîtrisée par l’artiste. Il n’y a pas de formalisme du geste ni de spontanéisme total de la peinture. Pas de total spontanéisme du geste ni de formalisme de la peinture.

Hartung vise un résultat qui n’est pas dû au hasard, ni même à un état de pensée pure mais à une œuvre esthétique, qu’on peut raisonnablement qualifier de nouvel expressionnisme. Son oeuvre est destinée à produire une impression sensible sur le spectateur … comme un dispositif à éprouver. Et il y réussit comme le prouve son exposition “La fabrique du geste ” à Paris en 2019.

Même chez Georges Mathieu, il y une finalité clairement affichée, notamment par le choix de ses couleurs, du rouge crête de coq au jaune fauve. Il montre la violence des batailles à l’époque des croisades, et plus généralement la violence des guerre.

la finalité de la production est extérieure à la matérialité et au geste; elle est dans la volonté de l’artiste.


Dans ses œuvres, le geste de Pollock vise à transformer le support, la matière  pour mettre en valeur les éléments constitutifs de l’œuvre, assemblés en une apparence de hasard, sans considération pour l’objet de l’œuvre. Mais en réalité, son regard contemplatif précède la réalisation de l’œuvre, qui sera conduite selon la vision relative précise de l’auteur … que le spectateur reconnaît souvent immédiatement. Qui ne reconnaît pas la marque de fabrique de Jakson Pollock?

Contrairement à l’affirmation de Greenberg, concernant le caractère d’action painting de Pollock, la batterie de moyens mis en œuvre par Pollock demandait une grande habileté et lui-même a toujours revendiqué l’importance du contrôle dans sa méthode.

Jakson Polock, Convergence, 1952, Albrright-Knox Gallery

L’artiste reprend en effet le dessus sur la part de l’œuvre constituée de sensations, impulsions et notions immédiates.

Dans la plupart des toiles de cette période et notamment dans Number One, la frénésie gestuelle du peintre se fait dans des mouvements rapides et rythmés mais maitrisés dans le sens où ils ne paraissent pas saccadés.

En effet, il commençait son œuvre par des tracés automatiques (dans le sens où les premiers lacis n’étaient pas faits de manière consciente, n’étaient pas spécialement voulus) et la finissait avec maîtrise et réflexion.

Jakson Pollock Numer one, lavender mist, numéro 1Brume de lavande, 1950, National Gallery of Art, Washington, Etats-Unis

On peut ainsi voir ici que la matière s’échappe largement, le geste  consiste à répandre la matière de façon plus ou moins égale partout sur le support de création. La couleur est présente dans les compositions de cette période, ce qui donne l’occasion à l’artiste d’effectuer des jeux d’optiques en fonction des couleurs utilisées et peut être de contrecarrer l’aspect torturé que les œuvres pourraient inspirer.

Et il en va de même des artistes de la matière et du geste. Ainsi Hartung – la fabrique du geste – ; Mark Rothko, considéré comme le plus célèbre représentant du color field painting, est un adepte du sublime et de la transcendance. Il veut donner un sens à son oeuvre et faire éprouver au spectateur une expérience émotionnelle ou, selon lui, spirituelle.

Conclusion

L’Intensité du geste et un mouvement expressif traduisent la sensibilité de l’artiste et sa subjectivité. 

La valorisation de la matière, l’implication du corps, l’expressivité du geste, l’absence de de hiérarchie dans la composition constituent le mode opératoire de la production artistique.

C’est aussi la mise en scène de la matière, sa valorisation par le geste pictural pour produire une œuvre, qui peut laisser une part plus ou moins grande au hasard et à la spontanéité de l’artiste.

La matière et le geste se combinent, s’affrontent, se confrontent pour accentuer un effet artistique, créer des centres d’intérêt pour le spectateur en éprouvant son regard.

Mais l’œuvre ne deviendra alors œuvre d’art que lorsque la vision artistique de l’artiste rencontrera ce regard du spectateur.



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