L’échec  du « Septime Sévère » de Greuze et la peinture d’histoire au XVIIIème siècle. Courir le Greuze quatrième partie.

3 November 2022

L’échec  du « Septime Sévère » de Greuze et la peinture d’histoire au XVIIIème siècle. Courir le Greuze quatrième partie.

0 Comments

He threw his blood-stain’d sword in thunder down

Il jeta son épée ensanglantée dans un fracas de tonnerre

Ode sur les  passions

William Collins (1721-1759)

La peinture d’histoire ou de la mythologie a elle-aussi été traversée par les différents courants picturaux du siècle, porteuse autant des ornements baroques et rococo que des postures dramatiques.

On parle du XVIIIème siècle dans le domaine des arts comme le siècle des Lumières ou comme le siècle de Louis XV. Siècle du bon goût et de la frivolité tout autant que siècle de la philosophie de la raison et du développement des sciences

Le tableau de François Boucher s’inscrit dans la tradition de Rubens ou Véronèse…une glorification de la chair au travers d’un thème mythologique. En revanche, le tableau de David, plus tardif, est d’un grand classicisme,chargé toutefois d’une grande force expressive.

Le tableau d’histoire qui doit être un tableau dans la « grande manière » suppose  de ne négliger aucun éléments comme le nombre des personnages nécessaires à l’action, leurs attitudes, leurs gestes, leurs jeux de physionomie, les passions qui les animent ou les agitent. Le plan qu’ils doivent occuper dans le tableau. Une attention doit être portée aux accessoires, meubles, costumes, le lieu où se passe l’action ».

On attend de la peinture d’histoire qu’elle soit une  « école de mœurs », et l’artiste devait s’attacher à représenter « la vertu et les grandes actions » », par des « exemples d’humanité, de générosité, de grandeur, de courage, de mépris des dangers, et même de la vie, d’un zèle passionné pour l’honneur de sa patrie et bien souvent de sa religion.

L’Académie royale de Peinture et Sculpture

Cette institution a joué un grand rôle dans la permanence d’une peinture d’histoire au XVIIIème siècle, tant dans la conception même de la peinture d’histoire que d’un style établi «  La grande manière » « Le grand genre ».

A l’académie, la peinture était divisée en genres hiérarchisés. La peinture d’histoire se situait tout en haut de la hiérarchie, car elle était censée demander un plus grand effort intellectuel de connaissance, d’interprétation et de composition. Le choix d’un sujet, dans l’histoire sainte et dans la mythologie gréco-romaine, ou bien dans l’histoire ancienne ou moderne était examiné avec la plus grande attention. Le second genre était le portrait, puis les sujets moins « nobles » comme la « peinture de genre » (scène de la vie quotidienne). Venaient ensuite les genres dits « d’observation » qu’étaient la peinture de paysage, la peinture animalière et la nature morte.

Ce sont donc les peintres d’histoire qui obtenaient les meilleures commandes royales, les postes d’enseignement les plus prestigieux et beaucoup d’avantages matériels. Seuls  les peintres d’histoire pouvaient accéder aux plus hautes charges académiques, et ils profitaient en priorité des attributions d’ateliers, de logements, de places, de pensions et de distinctions.

Une fois agréé par la présentation d’un premier ouvrage, l’artiste pouvait être reçu académicien, par l’approbation, dans un délai en principe d’une année, d’une nouvelle œuvre, dont le sujet avait été imposé lors de l’agrément.

Si Greuze était reçu conformément à son agrément de peintre de genre, il se trouvait de droit placé sous l’autorité des peintres d’histoire. Et ce statut l’aurait empêché de bénéficier des principaux privilèges statutaires attachés à la qualité de peintre d’histoire.

Au moins par orgueil et pour montrer qu’il maitrisait  la « grande manière » Greuze opta pour la peinture d’histoire alors même qu’il avait été agréé à l’Académie Royale pour la peinture de gente et qu’il devait présenter dans un délai an une œuvre dans cette catégorie.

Chronique d’un échec annoncé. Greuze présente à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture son ” Septime Sévère reprochant à son fils Carracalla d’avoir voulu l’assassiner”.

Dans ce tableau, présenté en 1769, l’empereur Septime sévère reproche à son fils Caracalla, d’avoir cherché à l’assassiner dans les défilés d’Ecosse et lui dit : « Si tu désires ma mort, ordonne au centurion Papinien de me la donner avec cette épée ».

L’influence de Poussin dans la composition de l’œuvre de Greuze apparaît immédiatement.

Chez Poussin, on joue la grande scène, les personnages en grand nombre s’agitent. Les mains se touchent, le glaive et le casque sont les instruments matériels du drame.

Dans son tableau d’histoire Greuze renonce, en partie, à ses préférences pour la peinture de genre et se tourne vers Poussin. Il veut montrer ses aptitudes techniques dans des prouesses picturales.

Chez Poussin, les couleurs éclatent. La composition s‘étale, se déploie. Les personnages jouent leur rôle épique. Les couleurs sont contrastées pour les mettre en place. Le tableau fascine.

Chez Greuze, la composition est sévère. Le lit antique avec une interminable cloison couverte d’une draperie  ne brise aucunement la langueur fade du mur de marbre aux colonnes rainurées. La scène se joue au milieu de nulle part, ou quelque part peut-être dans un palais de théâtre. Les colonnes paraissent être de simples trompe-l’oeil.

Le guéridon est peu accessible, l’épée et le casque sont relégués au rang des accessoires. Ces objets ne sont ni dans la réalité ni dans la symbolique de la narration.

Les couleurs sont fangeuses. Le corps blanc de l’empereur est celui d’une victime qu’on immole. Ses genoux sont encombrants ; les bras désarticulés. Ses yeux ne fulminent d’aucun blâme ni  d’aucune fureur. ( Anger rushed,  his eyes on fire  – la colère s’est précipitée, ses yeux en feu – avait pourtant écrit à la même époque  William Collins « The passions and ode »).

On ne sent aucune relation verbale ou gestuelle entre le père et le fils. La scène vibre peu de mouvements.

Greuze  a bien cherché  à faire la preuve de sa parfaite maîtrise  du « costume ». Le mobilier, le vestimentaire, de la sandale à la cuirasse sont documentés. Mais le pli est pesant, sans donner le moindre caractère dramatique. Et sans acquérir la force de la « Virtu » néo-classique.

Il connaissait aussi les bustes de Caracalla.

Nicolas Bornier. Copie d’un buste de Caracalla . Musée de Dijon.

L’échec du tableau a été consommé le 23 août 1769 (au soir) devant l’Académie royale de Peinture et de Sculpture.

Pourtant l’esquisse présentée un an auparavant avait suscité bien des espoirs.

Diderot ne s’était pas trompé lorsqu’il avait fait l’éloge de l’esquisse et s’était désolé devant l’œuvre finale.

L’esquisse qui se trouve au musée Greuze à Tournus montre une scène plus resserrée que dans le tableau présenté à l’Académie royale aujourd’hui au musée du Louvre. Elle part du même principe que la scène de genre. Les personnages ne sont pas au-dessus de leur condition triviale.

Caracalla est un adolescent sournois, renfrogné, le nez retroussé, les yeux enfoncés et  les narines crispées.  C’est un petit monstre que ce scélérat promis à l’imperium. Septime Sévère est découragé, abattu et outragé par son fils plutôt qu’accablé ou furieux. Peu de Césarisme dans cette scène.

Le sénateur captieux Castor et le fidèle centurion Papinien, le crâne dégarni,  accablé par le poids de la tâche qu’on est prêt à lui confier, se montrent préoccupés.

Les visages sont communs, les gestes banals. L’’épée est à portée de main, posée sur le guéridon massif aux pieds de bouc.  Le glaive et le lourd casque sont mis en évidence pour donner un sens à la réalité du crime prémédité.

C’est une scène de genre transposée dans une peinture héroïque. Le parti pris pouvait être critiqué mais il avait le mérite de tenter de donner un souffle nouveau, différent puissant à la peinture d’histoire. On aurait adhéré ou rejeté cette approche, mais Greuze aurait imprimé sa marque, peut-être changé le cours de la peinture d’histoire.

Greuze avait une proximité avec les idées nouvelles et aurait pu assez aisément passer de la scène de genre à la peinture historique révolutionnaire où le petit peuple devient un acteur de l’histoire, dont les postures et comportements sont plus proches de ceux qu’on trouvent dans les scènes de genre que  dans les grands tableaux de scènes antiques. Rendez-vous manqué.



Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *