Courir le Greuze-Troisième Partie: La critique de Greuze au XIXème siècle

3 October 2022

Courir le Greuze-Troisième Partie: La critique de Greuze au XIXème siècle

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A la bibliothèque universitaire de Dijon.

Greuze vu par les critiques du XIXème siècle.

Greuze connaît une brusque désaffection de son vivant même. Il meurt au début du XIXème siècle et est redécouvert par des critiques, dès le milieu du même XIXème siècle.

Ayons d’abord un petit faible pour le critique Arsène Houssaye (1815-1896), journaliste, écrivain, compagnon de bohême de Théophile Gautier et de Gérard de Nerval. Auteur d’un merveilleux Voyage à Venise.

Dans un article publié dans la revue littéraire « L’Artiste » en 1844, il écrit « Dans l’histoire de la peinture en France aux XVIIIème et XVIIIème siècles, on voit deux écoles ou plutôt deux familles de peintres se produire presque en même temps et régner tour à tour : l’une « grande et forte», qui puise sa vie dans les saintes inspirations de Dieu et de la nature, qui embellit encore la beauté humaine par le souvenir du ciel et la lumière de l’idéal ; l’autre «gracieuse et coquette», qui n’attend pas l’inspiration, qui se contente d’être jolie, de sourire, de charmer même aux dépens de la vérité et de la grandeur…elle ne veut que séduire … La première famille représente l’art dans toute sa splendeur », tandis que « la seconde n’est que le mensonge de l’art »!

La première serait l’héritière de Poussin, c’est celle de Greuze ; la seconde est issue de l’influence qu’aurait eue la galerie peinte au Palais du Luxembourg par Rubens, et compte parmi ses interprètes les plus illustres Watteau et Boucher.

Jules et Edmond de Goncourt remettent Greuze à sa place

Greuze serait-il le sauveur ultime du grand art français au XVIIIe siècle. Si les Goncourt admettent que cet artiste excelle dans la « représentation des mœurs bourgeoises et populaires », qu’il est le véritable « peintre de la Vertu » en ces temps de galanterie et de libertinage, il est seulement à leurs yeux « presque un maître ». 

Son art n’est pas admiré pour ses qualités visuelles, mais plutôt pour son message. Ils voient en lui un « génie facile, mais étroit », un « dessinateur sans puissance ». 

Greuze serait principalement le fondateur de « la déplorable école de la peinture littéraire et l’art moralisateur. Les Goncourt n’apprécient pas les œuvres créées pour exprimer un discours. D’ailleurs, ils jugent très peu la « moralité» des œuvres dans leurs études. La moralité n’est appréciée que si elle leur semble nécessaire à la compréhension d’une œuvre. Ils en tiennent compte dans le jugement de l’opinion de l’époque qu’ils prennent en compte. Chez Greuze, ils dénoncent la mise en scène moralisatrice des œuvres, dans un siècle où celle-ci est toute relative et où l’art n’est pas considéré comme sensé la représenter. Cet artiste cherche à « provoquer les bonnes mœurs à coups de pinceaux, les répandre par l’image».

Chez les Goncourt ce n’est pas encore tout à fait « l’art pour l’art », mais ils ont une vision rococoïsante de l’art, c’est-à-dire on peint rococo et pour ce que le tableau raconte, c’est une autre histoire…dérisoire. 

Greuze, un succès rapide et pas trop dure sera la chute  

Célèbre de son vivant, son œuvre sera supplantée par celles d’artistes néo-classiques, comme David (Paris, 1748- Bruxelles 1825, peintre de la deuxième partie du XVIIIème siècle, dont l’œuvre sera florissante au siècle suivant), peintre de grandes fresques antiques ou historiques avec un message glorieux et vertueux.

Le goût de la marquise de Pompadour dont l’influence était notable, y compris dans le monde des arts, a joué un rôle majeur. Elle s‘est détournée des peintres galants comme Boucher, admiré par Louis XV pour se tourner vers l’antiquité et l’antique dont elle appréciait la grande rigueur des formes et les valeurs qu’ils véhiculaient.

Y ont largement contribué les fouilles réalisées en Italie dans les années 1738 à 1748, qui ont mis à jour Herculanum, puis celles réalisées sur les ruines de Pompeï dont les fouilles reprennent à partir de 1748. Ces lieux majeurs de l’Antiquité seront des références du retour à l’antiquité qui s’opère dans la seconde moitié du XVIIIème siècle.

Les tentatives  de Greuze de se confronter à la peinture historique s’étant soldées par des échecs, il s’est cantonné dans des scènes de genre ou des portraits, qui lui ont assuré un vif succès .

Jean-Baptiste Greuze , L’Empereur Septime Sévère reproche à Caracalla, son fils, d’avoir voulu l’assassiner, dit aussi : Septime Sévère et Caracalla. 1769. Hauteur 1,24 m, Largeur 1,6m, huile sur toile, musée du Louvre, Paris.

Mais, s’il est tombé dans un semi-oubli au début du XIXème siècle, il a continué à jouir d’une certaine faveur dans quelques cercles ou salons parisiens. La comtesse Greffulhe – un des modèles de Marcel Proust pour la duchesse de Guermantes, Oriane – posséda le portrait de Mme de Champcenetz, qu’il avait peint d’elle en 1770.

Edmond de Goncourt écrit, par ailleurs, dans son journal en 1895 : «  Dans le gai salon donnant sur la place Vendôme, on trouvait ma tante, toujours lisant sous un portrait en pied de sa mère (la mère de sa tante donc) – Mélanie Tissot mariée en 1799 à Edouard Lefebvre- qui avait l’air d’être le portrait de sa sœur, d’une sœur mondaine (la soeur de qui?) : un des plus beau Greuze que je connaisse et où, sous la grâce de la peinture du maître français, il y a la fluide coulée du pinceau de Rubens ; Le peintre, qui avait donné des leçons à la jeune fille, l’a représentée mariée, en la mignonnesse de sa jolie figure, de son élégant corps, tournant le dos au clavecin sur lequel, par derrière, une de ses main cherche un accord ,tandis que l’autre tient une orange aux trois petites feuilles vertes : un rappel sans doute de son séjour en Italie et de la carrière diplomatique, en ce pays, du père de ma tante… ». On s’y perd un peu, mais c’est bien de la mère et du père de la tante d’Edmond de Goncourt, qu’il s’agit. Et d’une belle oeuvre sans doute, mais je ne l’ai pas retrouvée.

Cette référence à Rubens – et à travers lui à la solide culture de la peinture classique italienne de celui-ci –  guide le regard que nous portons depuis sur l’œuvre de Greuze.

Greuze a peint l’innocence…! La joliesse … ? Evoquant une actrice,  le même Edmond de Goncourt écrit «  une fille charmante, d’une beauté bête, qui, dans son costume de paysanne, me fait l’effet de la « Cruche cassée » de Greuze…. ». 

Jean-Baptiste Greuze La cruche cassée, vers 1771-1772, musée du Louvre

On ne comprend guère les propos de Goncourt devant ce charmant tableau , d’une jeune fille, presqu’une enfant, peut-être ingénue mais point sotte.

 Greuze  influencé par Rubens (1577 – 1640)

La tendance flamande dominée par Rubens, où la couleur l’emporte sur l’objet, où le met en relief, l’émancipation de la forme – définie par une ligne bien nette – se retrouve chez Greuze.

Chez Rubens puis chez Greuze , la chair est glorifiée et les richesses matérielles sont regardées comme un avantage à ne pas négliger. Ce qui se traduit par une fluidité de la touche, une riche gamme de pigments. On y voit aussi la puissance du thème au travers des teintes, des pâtes grasses pour des compositions accordant une grande place à la gestuelle, c’est-à-dire présentant des scènes de genre qui génèrent de grands gestes chez les personnages.

Les scènes de genre s’exposent entre truculence et forte expressivité, avec de la la vivacité, de l’emphase, et de la hardiesse dans les attitudes.

Une atmosphère humide, des espaces saturés….des bouches humides aussi et languides… Des glacis de peinture et des touches de pinceaux rapides. Du Rubens chez Greuze !

Mais on ne retrouve pas chez Greuze la richesse chromatique de Rubens ni la mobilité et le mouvement que l’on observe dans la peinture de celui-ci, c’est plutôt chez Greuze une gesticulation immobile. Le style paraît alors quelque peu ampoulé, emphatique.

Du moins échappe-t-il au clair-obscur de Rembrandt…et au-delà, aux effets caravagesques et, encore, à la luminosité insistante rougeoyante et incandescente de Georges de La Tour.

Chez Greuze, c’est l’expressivité et la vérité ou, du moins, la profonde sincérité de la société, qu’il peint d’un pinceau volontaire.

Et, pour déjeuner ou dîner il y a de nombreux restaurants dans la rue Greuze à Dijon



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