Courir le Greuze – Deuxième partie.     La peinture d’une époque –

14 September 2022

Courir le Greuze – Deuxième partie. La peinture d’une époque –

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Il le fit d’une touche tellement légère que les rubans lavande ou cerise frémirent à peine

Le mystère d’Edwin Drood

Charles Dickens

Après le déjeuner

De Tournus pour aller à Dijon, une petite heure de route ou de train suffit. Je projetais donc de me rendre au musée des Beaux-arts de Dijon (entièrement rénové et gratuit) pour voir les quelques toiles de Greuze qui s’y trouvent.

Comme souvent chez Greuze, ce tableau dévoile le désarroi, la triste mélancolie du sujet, le regard intérieur mais lointain. Les étoffes légères aux couleurs atonales s’accordent pour créer un environnement terne qui révèle la force de caractère de la jeune femme. Le menton est lourd, massif  et la bouche rapace. Le bonnet témoigne de sa condition sociale, mais son visage exprime une  émotion poignante, que Greuze veut faire ressentir au spectateur.  

En ce moment se trouve à Dijon un tableau de Greuze prêté par le musée de Nantes.

Il s’agit du portrait d’un enfant nimbé de candeur et de satin blanc. Greuze s’inspire d’un Pierrot de la Commedia del ’Arte, très à la mode à cette époque. Le peintre porte un regard tendre et attachant sur l’enfant perdu dans ses songes plutôt que dans les lignes d’un livre,peut-être trop compliqué pour lui.

Beaucoup d’artistes du XVIIIème siècle méconnus

En venant de Tournus – le musée des Beaux-Arts de Dijon se trouve dans une aile de l’ancien palais des ducs de Bourgogne-  je passais nécessairement par la rue Colson.

Il s’agit en fait de Jean-François Gilles, dit Colson (né à Dijon en 1733 et mort à Paris en 1803) – j’ai trouvé bizarre que son prénom ne soit pas mentionné sur la plaque donnant son nom à la rue et que dire du qualificatif « peintre de talent », peu élogieux, non cela ne vous a pas frappé ?. En fait c’est son nom d’artiste pas son patronyme réel.

On peut voir à Dijon sa peinture Le Repos. Pur contemporain de Greuze, Se sont- ils rencontrés à Paris où ils ont en réalité passé toute leur existence ?

On rentre dans l’intimité d’une jeune fille…endormie…mais son sommeil ne semble guère profond, une rêverie amoureuse plutôt. Il y a un oiseau, mais aussi un chat qui s’apprête à n’en faire qu’une bouchée. La métaphore saute aux yeux aussi prestement que le chat sur l’oiseau. C’est moins l’amour divin que celui plus charnel d’une jeune fille, du siècle.

Mais si l’on parle trop des peintres méconnus, ils ne le resteront pas ; pour les découvrir sans bouder son plaisir il faut courir les musées. Vous y découvrirez peut-être…voyons…à Besançon

Le visage d’albâtre du jeune homme est souligné par la blancheur de sa tunique de batiste. Son bonnet de résille le montre dans une activité familière et dans un vestimentaire négligé, intime….un regard préoccupé, en tension…il est là sans y être. Se trouvent ici réunis l’esprit des Lumières, le mélange de néoclassicisme et du naturel dans l’intimité et le pli de la tunique bien dans l’esprit du siècle.

Des artistes de talent, il y en a d’autres,  bien d’autres. Et c’est notre plaisir d’aller au devant de leurs oeuvres.

Saisir l’art du pli dans la peinture du XVIIIème siècle

Le pli baroque que l’on retrouve encore tout au long du XVIIIème siècle, souvent rococo d’ailleurs, est juponnant, distendu, bouffant, une mer agitée de plis et replis. Il est montant et remontant, descendant virevoltant, il semble déborder du cadre de la toile. Il met aussi en évidence la duplicité des personnages … C’est souvent un pli ostentatoire aux teintes mauves et pourpres, suffocantes et lascives. Et pour les cardinaux et évêques, on peut ajouter des surplis de linon à dentelle, qui s’accordent si bien au titre de Monseigneur.  

Le pli néoclassique est un drapé jupitérien qui souligne les qualités morales et vertueuses de ceux qui les portent.

Et le pli chez Boucher …froufroutant n’est-ce pas et mordoré…surchargé de fioritures, de franges, de parements de fleurs et de guirlandes. Plis pris, enveloppés, dans la passementerie. Les couleurs sont vert écru, jaune ocre …

L’influence rococo et orientalisante est perceptible dans ce tableau de Madame de Pompadour. Son corps disparaît dans une robe, d’un vert écru élégiaque, ouvragée de rubans et d’entrelacs floraux. La marquise se trouve enchâssée dans des tentures ocres jaune et brun, un livre est ouvert, délicatement posé sur sa hanche gauche, ce qui la conduit à verser délicieusement de ce côté. Elle se livre –pas celui qu’elle tient à la main-  à notre vue, mais ne nous regarde pas. 

On trouve sur les plis de sa robe davantage l’effet de lumière que celui des Lumières. Davantage la séduction que la réflexion philosophique et scientifique. Mais La Pompadour  alliait les deux. 

Des peintres de la vie mondaine et galante mais pas seulement

La féerie aristocratique se délite en même temps qu’elle s’épanouit. Certains peintres que l’on regarde comme d’esprit léger s’attachent à peindre la vie quotidienne….

Chardin aimait représenter des scènes paisibles de la vie populaire. Il peint aussi bien le calicot que le linon, la chair rose et laiteuse que le teint jaune et la peau rance.

Chaque pièce présentée est définie avec précision, de la lumière dorée brossée sur le cristal de Bohême jusqu’au bouchon de bouteille en métal teinté de jaune.

La qualité physique du sucrier en céramique est apparente pour tout le monde, tout comme la surface brillante de la brioche, avec cette croustillance obtenue en badigeonnant un peu de blanc d’œuf après une bonne levée de la pâte, mais avant sa sortie du four.

Philippe Daverio écrit « But the brioche is perhaps not as innocent as it appears: approximately thirty  years later, the ill-fated Marie-Antoinette dared speak of such confections before the starting citizens of Paris and sparked  a revolution » (Mais la brioche n’est peut-être pas aussi innocente qu’il n’y paraît : environ trente ans plus tard, l’infortunée Marie-Antoinette osa parler de telles confections devant les Parisiens affamés et déclencha une révolution).

Du même Jean-Baptiste Chardin

Ici, c’est la parfaite description de la table de jeu avec ses bords incurvé en bois

Aujourd’hui, il faut avoir un œil curieux pour observer le détail de cette scène et lui prêter l’attention qu’il convient. (On peut aussi chercher à découvrir la moralité de cette scène…il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas faire sans casser des œufs).

Ici, on voit une jeune femme et ses deux enfants sur le point de prononcer le bénédicité. Il le fait avec des couleurs plus chatoyantes que Greuze, mais ses ocres aux reflets verdâtres plutôt que des jaunes flamboyants confèrent à l’œuvre une touche de tendresse et de douceur. 

Chardin a aussi peint les plus humbles des métiers. Et il nous laisse là une trace incomparable de l’histoire populaire.

Voire des sujets bien prosaïques

La peinture du XVIIIème siècle n’est donc aucunement la seule peinture des grands personnages et des fêtes galantes, elle est ancrée dans la vie du siècle…c’est la peinture de son époque.



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