L’artiste détient-il la vérité ?

20 November 2021

L’artiste détient-il la vérité ?

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Deuxième Partie

La vérité dans l’art profane

Dans l’art profane, comme cela a été le cas dans l’art  de l’occident chrétien,  la prudence restera de mise chez les artistes pour révéler ou délivrer la  ou leur Vérité. 

Beaucoup d’artistes ont peint des cérémonies royales ou des portraits aristocratiques.

Antoine Van Dyck, Charles Ier d’Angleterre à la chasse (1635) Huile sur toile, 266 x207 cm, musée du Louvre, Paris
Antoine Van Dyck, Charles Ier d’Angleterre à la chasse (1635) Huile sur toile, 266 x207 cm, musée du Louvre, Paris

Ou  des fêtes pastorales, bucoliques ou frivoles, des natures mortes aussi.

Floris Claesz Van Dyck, nature morte avec noix et fromages, 1615, huile sur panneau, 82,2x111,2 cm Msterdam, Rijksmuseum
Floris Claesz Van Dyck, nature morte avec noix et fromages, 1615, huile sur panneau, 82,2×111,2 cm Msterdam, Rijksmuseum

Tout cela conduisant à ce que chez ces peintres figuratifs le sujet importât peu, disparaissant au profit de la forme ou de la couleur.

Chez les impressionnistes, par exemple, il s’agira de capter la sensation, de rendre l’effet.

Claude Monet La pie
Claude Monet La pie

Certains mouvements artistiques, tels le Biedermeier ou Jugendstil, paraissent purement décoratifs.

Certes, les exemples où un artiste délivre une vérité sont nombreux. Et parfois il faut savoir la découvrir.

Dans son ouvrage « The Ideal Museum », malheureusement non traduit en français, Philippe Daverio, récemment disparu, évoque Jacques-Louis David, peintre néoclassique, qui a peint en 1874 le tableau « Le serment des Horaces ».

Philippe Daverio " Le serment des Horaces », peintre néoclassique, qui a peint en 1874 le tableau.
Philippe Daverio ” Le serment des Horaces », peintre néoclassique, qui a peint en 1874 le tableau.

« This painting is an embodiment of the Republican concept of virtus. It was exhibited before Louis XVI in Paris  in 1785 » (Ce tableau personnifie le concept des vertus républicaines. Il fut présenté au roi Louis XVI à Paris en 1785).

L’auteur ajoute « if the Capetian king had had a good art critic on hand, rather than the expert watchmaker who acted as his counsel, he might have understood much earlier that only three years later he would lose his throne and a mere six  years later his head”. (en substance, si le roi Louis XVI avait eu un bon critique d’art sous la main plutôt que de jouer aux apprentis horloger, il aurait compris bien plus tôt qu’il perdrait son trône et moins de six ans plus tard simplement sa tête ».

Certains artistes ont défendu une idée singulière de la Beauté pure, comme les symbolistes (voire article sur  ce site), recherchant la Vérité dans le rêve, c’est à dire précisément un monde idéal.

D’autres  courants artistiques  soutiennent une Vérité, peut-être plus prosaïque, mais non dénuée de force. Il en va ainsi des futuristes prônant la force, le machinisme, le progrès technique. Mais surtout le vertige qu’ils procurent. 

Umberto Boccchioni, 1913, L’homme en mouvement, sculpture
Umberto Boccchioni, 1913, L’homme en mouvement, sculpture

Une recherche singulière de la Vérité, chercher un Idéal disparu  invisible ou caché

L’idée d’un monde ou d’un univers disparu ou caché est une voie assez classique empruntée par les artistes.

La représentation de ruines réelles ou imaginaires permet d’imaginer un monde dont   l’immensité écrase les hommes, un monde fait d’ordre et de chaos, qui allie le temporel et l’intemporel…L’idée d’un monde clos ou infini.

François de Nomé, Crotos Ruines imaginaires et fantastiques,  Monsu Desiderio, Ruins imaginaires. Clonnes et pyramides, 1610-1620 ; Huile sur toile, Mondolfo, Rome
François de Nomé, Crotos Ruines imaginaires et fantastiques, Monsu Desiderio, Ruins imaginaires. Clonnes et pyramides, 1610-1620 ; Huile sur toile, Mondolfo, Rome
Hubert Robert (1733-1808)
Hubert Robert (1733-1808)

Ruines poétiques ou romantiques ou plus tard néo-gothiques, elles témoignent d’une vision idéale ou apocalyptique du monde du monde.

Gino Severini, pulcinella, giocolieri et ruines, 1928, huile sur toile. Banca Toscana, S.p.A . Florence.
Gino Severini, pulcinella, giocolieri et ruines, 1928, huile sur toile. Banca Toscana, S.p.A . Florence.
Anne et Patrick Poirier – Domus Aurea (1975-1978) Collection Frac Bretagne, cette sculpture  en fusains fait partie d’un ensemble représentent la Domus Aurea (Maison Dorée), l’ancien palais de l’Empereur Néron (37-68 après J.C), actuellement écroulé et presque entièrement recouvert de terre.
Anne et Patrick Poirier – Domus Aurea (1975-1978) Collection Frac Bretagne, cette sculpture en fusains fait partie d’un ensemble représentent la Domus Aurea (Maison Dorée), l’ancien palais de l’Empereur Néron (37-68 après J.C), actuellement écroulé et presque entièrement recouvert de terre.

L’installation consiste dans la reconstitution imaginaire de ce palais dans un souterrain noir et humide, « permettant   par sa structure (monde souterrain, labyrinthe) et sa couleur (le noir) une représentation, comme image et figure mentale, d’un inconscient à caractère collectif » (les auteurs)

Pour d’autres l’art c’est « révéler en cachant ». C’est le cas de Christo. La vérité d’un monument, d’un paysage, sa vérité ne peut se révéler qu’en la cachant, en l’empaquetant.

Le pont Neuf, le plus vieux des ponts de la capitale française, est emballé en 1985 dans un polyester ocre-jaune.
Le pont Neuf, le plus vieux des ponts de la capitale française, est emballé en 1985 dans un polyester ocre-jaune.

Empaqueté, ce pont perd toute son histoire et son ancienne matérialité pour devenir une architecture intemporelle, aérodynamique révélant une vérité purement imaginaire.

La Vérité ce n’est pas le vrai et le faux

Bertrand Lavier « L’un des deux verres est faux » Dimensions42,9 x 38 x 18,7 cm.
Bertrand Lavier « L’un des deux verres est faux » Dimensions42,9 x 38 x 18,7 cm.

Ce qui est vrai ce n’est pas l’objet du tableau mais l’œuvre elle-même.

Magritte, Ceci n’est pas une pipe.

Toutefois dans le « ceci n’est pas une pipe » de Magritte, ce n’est pas le titre de l’œuvre, qui est en réalité « La trahison des images ». Alors s’il y a trahison des images, on reste loin de la Vérité.

Vers une Vérité ontologique chez les artistes contemporains

La plupart des  artistes contemporains semblent moins chercher la Vérité qu’une vérité ontologique, au moyen de techniques classiques ou de procédés nouveaux, comme l’hybridation ou la performance.

Il en va ainsi de Gina Pane. Pionnière du Body art dès le début des années 1970, elle utilise son corps comme matériau pour ses « actions », dont le processus précis implique des blessures corporelles symboliques. Dans Azione sentimentale, l’artiste s’enfonce des épines de roses dans le bras et s’entaille la paume avec un rasoir.

Elle pose ainsi tant la question du statut du corps féminin que de la souffrance ontologique.

Chez Hopper, l’infinitude de la solitude humaine est érigée en Vérité.

Chez  Nuclear, c’est l’avenir de l’Humanité avec les risques des technologiques nouvelles qui posent la question de l’avenir de l’Humanité.

Ce sont dès lors des Vérités humaines, loin des visions platoniciennes, mais bien vérités de notre temps.

L’artiste défend sa vérité ou sa vision propre de la beauté ou du monde

L’art contemporain se caractérise par les nombreuses directions qu’il emprunte et l’importance qu’il accord au regard du spectateur.

De nombreux artistes ont bien une vérité à nous transmettre au travers de leurs œuvres, notamment les performances et les happenings. Leur mérite est souvent de n’être pas hermétiques, ni de présenter un caractère individuel. Elles portent en général un  message clair ayant une portée universelle.

Ainsi, la manipulation et l’utilisation de l’objet dans les productions et détournement de sa fonction usuelle le dote d’une dimension artistique, social, politique, affective ou sensible…

Romuald Hazoumé, dans son œuvre Masque bidon, 2007, utilise  une poterie, des bouchons, un sac fait de corde pour créer un masque.

La matérialité et les couleurs ocres, chaleureuses et douces, est de nature à toucher la sensibilité de spectateur.

Ainsi, l’œuvre intègre une charge symbolique par son ancrage dans la vie populaire, le quotidien des populations concernées, tout en frappant notre imaginaire par sa finalité, le masque faisant partie d’une culture aussi bien singulière que générale.

L’art ne mime pas la réalité mais renouvelle notre « vision du monde ». Il n’y a alors pas de vérité, peut-être celle de l’artiste qui ne vaut que pour lui-même ou qui devient une vérité lorsque le spectateur s’y reconnaît.



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