En regardant ce tableau d’Auguste Chabaud au musée qui porte son nom à Graveson (près de Marseille),

j’observais, ce que l’on ne voit pas toujours du premier coup d’œil, l’anatomie totalement démembrée, le mollet se trouvant entre l’œil et le buste, auquel le bras est toujours attaché. Le corps déconstruit et reconstruit trouve une force et une esthétique nouvelle.
Louise Bourgeois, sans démembrer aucunement le corps, lui confère une souplesse dévertébrée et des courbes époustouflantes, tout en arceaux, arcs, tout en rouge et rose.

Mais qu’en est-il de l’abandon des gestes canoniques du bras dans les arts créatifs ?
On ne peut échapper, au préalable, à l’examen de la vision de Léonard de Vinci

Analysant son étude ‘L’homme de Vitruve » Léonard de Vinci nous dit que le carré et le cercle ne doivent pas avoir le même centre, sinon cela ne marche pas.
Le bras peut se plier et la main atteindre tout ce qui est compris dans son rayon, sans qu’il y ait de points aveugles ou inaccessibles comme ce serait le cas si l’avant-bras était plus long, ou plus court, que le bras.
Vinci nous montre sa vision rationnelle de la représentation du bras ; à laquelle il ajoute, le bras c’est le dessin, le muscle c’est de l’art.
Ce modèle était assez commun à partir de la Renaissance.
De plus, la peinture s’était habituée pendant des siècles à parcourir un répertoire fixe de gestes qui n’admettait de variations qu’à l’intérieur de certains registres. Chaque fois le peintre disposait d’un éventail de possibilités parmi lesquelles choisir.
Cette approche artistique se trouvait de manière plus marquée encore lorsque l’artiste représentait un mouvement rigoureusement codifié – le code du ballet en tant que danse, par exemple.
L’imagination de l’artiste s’exprimait ailleurs, dans le pli des vêtements par exemple, pour traduire autant le mouvement de l’âme que le statut du sujet.

Il en allait de même dans la sculpture de la Renaissance.
L’existence de codes
A cela s’ajoutaient des codes « signifiants ». Depuis la Renaissance, l’amoureux était représenté dans des attitudes particulières, notamment il devait « errer les bras ballants » ou « les bras croisés ». Shakespeare l’évoque aussi à plusieurs reprises.
Dans les tableaux épiques – les Horace et les Curiace de David), le geste marmoréen signifie alors la vertu et l’incorruptibilité.
La remise en cause des gestes canoniques
Degas a remis en cause les gestes canoniques. Il poursuit avec ténacité les gestes intermédiaires qui n’ont pas de signification et qui sont seulement fonctionnels, souvent inconscients, souvent non perçus par ceux qui les accomplissent.

Les impressionnistes s’y sont aussi essayés.
L’abandon des gestes canoniques s’est poursuivi.
Dans cette œuvre de Picasso « Jacqueline avec les bras croisés » l’importance du bras est soulignée dans le titre même de l’œuvre.

Le bras semble « en empathie » avec le visage géométrique et déterminé. Le bras peut alors participer d’un « signifié » (fatigue ou épuisement, geste d’abandon du sujet).
Le geste de l’artiste
Le peintre ne peint plus seulement avec sa main mais aussi avec son bras. Le geste aboutit à une tension maximale et abstraite ne correspondant à aucun répertoire des poses éloquentes en peinture.

Toile au sol témoignant de l’implication de tout le corps de l’artiste. Sa position debout dominant l’œuvre.
L’action painting (la peinture d’action) déploie la toile à terre et va projeter sur elle les gestes de l’artiste.
Le dripping (laisser tomber goutte à goutte) permet au geste de l’artiste d’avoir un rythme, puisqu’il ralentit la projection-action.
Son bras donnera la spontanéité et l’impulsion nécessaire pour traduire l’émotion, la violence, l’énergie de l’artiste.
Ce qui démontre que le bras , cela…

…vaut le cou.