Chez Platon, tout part de sa théorie des « Idées », celle suprême du « Bien », de laquelle découleraient toutes les autres « Idées », comme la Justice ou la Beauté. Elles sont le « paradigme » ou « modèle ».
Appartenant au monde supra sensible, elles sont parfaites, immuables, intemporelles.
Elles ne naissent pas de l’esprit ni ne se forment par abstraction, elles existent depuis toujours. Le Bien existe en soi comme la Beauté.
Ce que cherche Platon c’est la « Vérité », dont la Beauté n’est qu’un de ses effets, voire un reflet.

Quelle serait alors selon lui la valeur de l’art ?
Platon ne recherchait pas le Beau mais une société « Juste », gouvernée par le « Bien », ce qui ne pourrait être acquis que par la connaissance.
Or, les artistes, soumis à l’imperfection du temporel, laisseraient la place à l’émotion, à l’invention pure, à des élans lyriques ou des passions – Ils suivent leur « muse »-. Et tout cela nuirait à la connaissance authentique de la vérité. L’élan purement artistique revient à poursuivre une chimère, à se tromper.
L’artiste prétendrait façonner le Beau, alors que, selon Platon, il « préexiste ». L’artiste vit de simulacres et trahit la vérité. Il ne peut que s‘éloigner de la réflexion rationnelle vers le vrai, qui est consubstantiel aux « Idées », et de la science du « Bien ».
Il existerait toutefois, selon lui, un monde des « Formes idéales », inaccessible aux humains. Le monde sensible ne serait que pure illusion des sens (allégorie de la caverne). C’est un monde factice, c’est le monde de la matière enfoncé dans l’erreur, loin des « Formes Idéales », aussi parfaites éternelles et immuables et qui seraient la seule « Réalité vraie», socle et condition d’accès au « Beau en soi ».

Mais comment les hommes, selon Platon, ont-ils accès à la Vérité et par suite à la Beauté
Les hommes doivent les découvrir au moyen de la connaissance et chercher à s’en rapprocher par la pratique philosophique et un comportement paré de vertu, tempérance…
Mais il faut aussi postuler que le lien entre le visible et l’invisible résulte d’une instance transcendantale, la psyché (qui deviendra l’âme chez les chrétiens), qui elle aussi préexiste au corps et peut donc connaître les Idées.
Connaître se serait donc aussi se souvenir, c’est ce que Platon appelle l’ « anamnèse » qui décrit une sorte de mémoire qui dépasse l’espace et le temps limité de la vie humaine. Si les Idées sont éternelles, la Psyché (l’âme), qui les connaît, l’est aussi.

La Vérité dans le réel
Aristote, disciple de Platon, s’est efforcé de trouver dans le réel une possibilité d’accéder à la Vérité.
Dans son Traité de l’âme (II, VII) : ce qui est visible, c’est la couleur, mais elle doit avoir un substrat, qui bien qu’étant lui-même invisible, devient, comme par transparence visible par elle.
On peut ainsi imaginer qu’on puisse lire ou déchiffrer dans les choses, au travers de la « signatura rerum », (pour emprunter l’expression à Jakob Boehme ( 1575-1624), une Vérité éternelle (ou divine chez les chrétiens).
L’attitude des artistes au regard de la Vérité
Lorsque le monde occidental était chrétien l’art était principal religieux. Et alors même que les théologiens étaient divisés sur des questions théoriques, telles que la nature du Christ, les miracles…les peintres se sont souvent bien gardés d’intervenir pour donner leur « Vérité ».
Ainsi, on verra beaucoup de Vierge et l’Enfant, des madones, des annonciations, des crucifixions…Un Christ en majesté ou souffrant sur la croix (quand il ne s’agit pas de sujets tirés de la mythologie).
Beaucoup d’artistes trouvent une source d’inspiration suffisante dans le plus célèbre recueil hagiographique, « La légende dorée » du dominicain Jacques de Voragine, qui date du XIII e siècle, et relate la vie légendaire de saints. Par exemple, celle de Sainte Lucie de Syracuse.

Dans cet art occidental, on reste relié au monde extérieur, dans une sorte de simulacre. Chaque artiste porte un regard personnel sur le monde qui l’environne, qu’il exprime par son art, dans un véritable théâtre artistique.

Nous voyons des corps contorsionnés des martyrs, des attitudes pathétiques, des têtes exagérément tournées vers le ciel, les pleurs et la douleur de la Vierge au pied de la Croix, les évanouissements des femmes. Une gestuelle immodérée, une recherche sensorielle et une émotion portée à son comble.
Certes, on retrouve parfois cette quête de la Vérité absolue, par exemple chez Le Greco, de tradition byzantine mais nourri de l’esthétique novatrice de la Renaissance, dans certains de ses tableaux aux couleurs métalliques, d’un maniérisme raffiné teinté de mysticisme, ce qui lui confère d’ailleurs par son étrangeté une image de modernité (qui lui a valu une exposition au Grand Palais à Paris en 2019).

Retour de la vision néoplatonicienne de la recherche de la Vérité dans l’art.
Il en ira ainsi lorsque des peintres s’inspireront des icônes. Car, par sa nature même, avec la rigidité de sa composition due aux formes stéréotypées d’où le mouvement est absent, l’icône représente la Vérité.
L’hagiographie iconographique se propose de représenter l’invisible en tant que rayonnement de la lumière de l’Idée d’une manière qui ne soit ni naturelle ni réaliste, qu’il y prévaut un style sec, ascétique et spectral (parfois certes non dépourvue de tendresse, et toujours nimbée de grandeur dorée).
Bien que figurative, elle tend vers l’abstraction. A la façon dont Aristote voyait les choses, c’est par l’icône, que l’invisible devient visible et se manifeste à nos yeux.
Comme c’est le cas avec les artistes d’origine slaves, qui se sont affranchis du caractère figuratif des icônes, pour n’en garder que la finalité, tels Vassily Kandinsky (1866-1944) et le courant pictural russe du constructivisme et celui du suprématisme, lié au futurisme, dont le représentant principal a été Kazimir Malevitch (1878-1935), tous fins connaisseurs de l’art iconique.


Dans cet esprit, on retrouve l’idée d’Aristote, ce qui est visible c’est la couleur, mais elle a une substance, une essence, qui bien qu’étant elles-mêmes invisibles, deviennent, comme par transparence, visible par elle.
Piet Mondrian, venu du cubisme, s’inscrira lui aussi dans une recherche de vérité au travers de l’art abstrait.

Il construit des lignes et des combinaisons de couleurs qui expriment une beauté générale de telle sorte que ces formes fondamentales de la beauté puissent produire une œuvre d’art aussi puissante que vraie.
Ce courant connaîtra un prolongement notable dans les années 1960, dans l’art conceptuel, en particulier avec des artistes comme Marcel Duchamp et Yves Klein.
La Vérité dans les arts créatifs
La plupart des artistes contemporains semblent moins chercher la Vérité qu’un récit universel en utilisant des matériaux et des installations nouveaux.
Ainsi en janvier 1968, un séisme a ravagé Gibellina, en Sicile. Alberto Burri a créé entre 1985 et 1989 un mémorial en hommage aux victimes du terrible séisme, Il Grande Cretto (le grand craquellement).
Les gravats ont été compactés sous le ciment blanc, couleur du deuil.

Dans ce cas, les objets portant des histoires spécifiques de perte et de dégradation sont transférés pour raconter un récit plus universel.